La théorie de l’imprévision dans les marchés publics

10 octobre 2025 Sébastien Kvot

Lorsque votre entreprise remporte un marché public, vous vous engagez sur des prix et des délais précis. Mais que se passe-t-il quand un événement imprévisible vient bouleverser l’équilibre économique de votre contrat ? 🤔

La théorie de l’imprévision en marché public constitue un mécanisme juridique essentiel pour protéger votre entreprise face aux aléas exceptionnels. En effet, ce dispositif permet d’obtenir une compensation financière lorsqu’un événement extérieur et imprévisible perturbe gravement l’économie de votre contrat.

Codifiée à l’article L.6 du Code de la commande publique, cette théorie trouve ses origines dans l’arrêt historique « Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux » de 1916. Ainsi, depuis plus d’un siècle, elle protège les entreprises contre les risques économiques majeurs qu’elles ne pouvaient anticiper lors de la signature du marché.

Concrètement, l’imprévision s’applique lorsque trois conditions sont réunies : l’événement doit être imprévisible au moment de la signature, extérieur aux parties contractantes, et bouleverser temporairement l’équilibre financier du contrat.

Cependant, obtenir cette indemnisation nécessite de respecter une procédure rigoureuse et de constituer un dossier solide.

Dans cet article, nous vous expliquerons les fondements juridiques de l’imprévision, ses conditions d’application et la marche à suivre pour en bénéficier. Nous analyserons également les risques et limites de ce dispositif, tout en vous donnant des conseils pratiques pour maximiser vos chances d’obtenir une compensation.

L'image montre une scène de catastrophe avec un incendie majeur et de la fumée épaisse, entourée de véhicules de secours et de travaux. - Force majeure dans les marchés publics

Les fondements juridiques de la théorie de l’imprévision

La théorie de l’imprévision repose sur un socle juridique solide, construit au fil des décennies par la jurisprudence et consolidé par le législateur.

Origines historiques et évolution jurisprudentielle

L’histoire de l’imprévision débute avec l’arrêt fondateur du Conseil d’État du 30 mars 1916, « Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux« . Cette décision établit le principe selon lequel un cocontractant public peut prétendre à une indemnisation lorsque des circonstances exceptionnelles bouleversent l’économie de son contrat 📜.

Progressivement, la jurisprudence administrative a affiné cette théorie. Ainsi, les arrêts « Gaz de La Ciotat » (1926), « Gaz de Belfort » (1927-1928) et « Monthermé » (1965) ont précisé les critères d’application. Par ailleurs, ces décisions ont établi des seuils chiffrés : en moyenne, une charge extracontractuelle représentant environ 6 à 7 % du montant du marché constitue un bouleversement significatif.

Plus récemment, l’arrêt « Société Alliance » du 21 octobre 2019 a réaffirmé les critères fondamentaux : imprévisibilité, extériorité et déficit d’exploitation réel. De même, le Tribunal administratif de Dijon a accordé en avril 2024 une indemnité Covid à un concessionnaire dont les pertes dépassaient trois fois les prévisions contractuelles.

Le cadre légal actuel

Le Code de la commande publique consacre désormais cette théorie à l’article L.6, alinéa 3. Cette disposition précise que « lorsqu’un événement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat survient, le cocontractant qui en poursuit l’exécution a droit à une indemnité« . ⚖️

Cette codification s’inspire également de la directive européenne 2014/24/UE, dont l’article 72 renforce la possibilité d’adapter les marchés aux événements imprévus. En effet, cette transposition harmonise les pratiques au niveau européen tout en préservant les spécificités du droit administratif français.

Les textes d’application récents

Face aux crises successives, le gouvernement a publié plusieurs circulaires d’application :

  • Circulaire du 30 mars 2022 : elle reconnaît que les flambées récentes du gaz, pétrole et matières premières constituent des événements imprévisibles
  • Circulaire du 29 septembre 2022 : elle incite les acheteurs à intégrer des clauses de révision de prix et à négocier des compensations en cas de choc économique
  • Note du 9 juin 2020 : spécifiquement dédiée aux surcoûts sanitaires liés à la pandémie Covid-19
  • Ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020 : elle prévoit une indemnisation explicite pour les concessionnaires pendant la crise sanitaire

Ces textes rappellent néanmoins que l’imprévision n’est admise que si « l’économie du contrat se trouve absolument bouleversée« . Ainsi, une simple augmentation des coûts ne suffit pas : il faut démontrer un véritable déséquilibre économique. 💰

Rappel réglementaire : La jurisprudence constante confirme que cette indemnité vise à « assurer la continuité du service public ». Par conséquent, elle reste de nature provisoire et partielle, destinée à maintenir l’exécution du contrat malgré les difficultés exceptionnelles rencontrées.

L'image montre un arbre tombé sur une route, bloquant le passage, avec des camions de travaux publics et des cônes de signalisation en arrière-plan. - Force majeure dans les marchés publics

Les conditions d’application de l’imprévision

Pour invoquer avec succès la théorie de l’imprévision, votre entreprise doit réunir trois conditions cumulatives strictement définies par la jurisprudence administrative.

Un événement imprévisible au moment de la signature

L’imprévisibilité constitue la première condition fondamentale. L’événement doit « déjouer tous les calculs » des parties contractantes au moment de la signature du marché. En d’autres termes, même un professionnel expérimenté n’aurait pu l’anticiper raisonnablement. 🔍

Cette appréciation s’effectue objectivement : les tribunaux analysent les circonstances connues à la date de signature du contrat. Par exemple, la pandémie de Covid-19 a été unanimement reconnue comme imprévisible en 2020, de même que l’explosion brutale des prix de l’énergie suite à la guerre en Ukraine.

Cependant, certains événements peuvent perdre leur caractère imprévisible. Ainsi, une entreprise ne peut invoquer l’imprévision pour des hausses de matières premières si elle signe un nouveau marché alors que ces augmentations sont déjà amorcées et connues du secteur.

Un événement extérieur aux parties contractantes

La deuxième condition exige que l’événement soit totalement extérieur aux parties. Il ne doit résulter ni d’une faute du titulaire, ni d’une défaillance de l’acheteur public, ni d’un choix technique ou commercial contestable de l’entreprise. 🌍

Cette extériorité s’apprécie strictement. Par conséquent, voici les situations qui excluent l’imprévision :

  • Sous-évaluation initiale : une erreur de chiffrage dans votre offre ne constitue pas un événement extérieur
  • Défaillance d’un sous-traitant : sauf si cette défaillance résulte elle-même d’un événement imprévisible et extérieur
  • Choix techniques inadaptés : opter pour une solution technique qui s’avère plus coûteuse que prévu
  • Mauvaise gestion interne : retards, sureffectifs ou mauvaise organisation des équipes

À l’inverse, les catastrophes naturelles, les conflits internationaux, les pandémies ou les décisions réglementaires imprévues constituent des événements extérieurs caractérisés.

Un bouleversement de l’économie du contrat

La troisième condition, souvent la plus difficile à démontrer, porte sur l’ampleur du déséquilibre économique. L’événement doit créer un déficit d’exploitation réel et substantiel pour votre entreprise. 📊

La jurisprudence a établi des seuils indicatifs, même si chaque situation s’apprécie au cas par cas :

  • Seuil minimal : généralement autour de 6 à 7 % du montant initial du marché
  • Cas reconnus : l’arrêt « Société Altagna » (CAA Marseille, 2008) a retenu une hausse de carburant supérieure à 7 %
  • Cas rejetés : une variation de 3 % avait été jugée insuffisante (CE 1990, « Société Coignet »)
  • Calcul précis : la comparaison s’effectue entre les coûts réellement supportés et ceux estimés initialement

Il faut également prouver que ce bouleversement résulte directement de l’événement imprévisible. En effet, si votre marché comportait une clause de révision des prix, celle-ci s’applique d’abord. L’imprévision n’intervient que si, après application de cette clause, l’économie du contrat reste perturbée.

L'image montre un chantier de construction avec une grue sous un ciel orageux, avec des éclairs visibles. - Force majeure dans les marchés publics

L’obligation de poursuite de l’exécution

Une quatrième condition, souvent négligée, s’avère pourtant déterminante : vous devez continuer à exécuter vos obligations contractuelles malgré les difficultés. L’arrêt « Propétrol » (CE, 1982) confirme qu’en cas d’abandon ou d’inexécution fautive, aucune indemnité n’est due. ⚠️

Cette exigence peut mettre votre trésorerie à rude épreuve, notamment si les surcoûts sont importants. Néanmoins, suspendre l’exécution vous fait perdre définitivement le droit à l’indemnisation, même si toutes les autres conditions étaient réunies.

À retenir : Les conditions d’application de l’imprévision sont cumulatives et strictement interprétées. Une analyse juridique préalable s’impose avant d’engager une procédure, car un dossier mal constitué a peu de chances d’aboutir.

Les effets et conséquences de l’imprévision reconnue

Une fois l’imprévision établie, elle ouvre droit à une indemnisation spécifique dont les modalités et limites méritent d’être parfaitement comprises.

Le principe d’indemnisation partielle

L’indemnité d’imprévision ne vise jamais à couvrir l’intégralité des pertes subies. En effet, elle a pour seul objectif de maintenir l’équilibre minimal nécessaire à la poursuite du contrat. Cette philosophie s’explique par le principe de partage des risques inhérent aux marchés publics. 💰

La jurisprudence fixe généralement un reste à charge pour l’entreprise. Ainsi, vous devrez supporter entre 5 et 25 % du déficit lié aux charges imprévisibles, avec une moyenne autour de 10 %. Ce pourcentage varie selon plusieurs facteurs :

  • Taille de l’entreprise : une PME peut bénéficier d’une indemnisation plus favorable qu’un grand groupe
  • Efforts d’anticipation : les entreprises ayant pris des mesures préventives sont mieux considérées
  • Secteur d’activité : certains secteurs supportent naturellement plus d’aléas que d’autres
  • Durée du contrat : plus le marché est long, plus le risque d’imprévision est accepté

Les modalités pratiques de compensation

L’indemnisation s’effectue par convention d’indemnisation distincte, et non par avenant modificatif. Cette distinction juridique importante signifie que vous ne modifiez pas les stipulations du contrat, mais compensez temporairement un déficit exceptionnel. 📋

Plusieurs modalités de versement existent :

  • Indemnisation définitive : calcul global en fin de contrat après analyse complète des surcoûts
  • Versements provisionnels : acomptes périodiques pour soulager votre trésorerie pendant l’exécution
  • Clause de rendez-vous : mécanisme contractuel prévoyant une révision automatique en cas d’événement défini
  • Avenant mixte : combinaison d’une modification contractuelle et d’une indemnisation complémentaire

L’acheteur public peut consentir des versements provisionnels dès que l’imprévision paraît évidente. Ces avances, mandatées sur facture ou par avenant daté, allègent votre exposition financière en cours d’exécution.

L'image montre un bâtiment gouvernemental ou administratif avec une bande de sécurité jaune en avant-plan, indiquant une restriction d'accès. - Force majeure dans les marchés publics

Les limites et contraintes du dispositif

Contrairement aux avenants classiques, l’indemnité d’imprévision n’est pas strictement limitée au seuil de 50 % du montant initial du marché. Le Conseil d’État a précisé qu’elle relève de la continuité de service public et non d’une simple modification contractuelle. ⚖️

Cependant, plusieurs contraintes s’appliquent :

  • Caractère extracontractuel : l’indemnité ne figure pas dans le décompte général définitif du marché
  • Réclamation séparée : vous pouvez la réclamer même après résiliation ou échéance du contrat
  • Assujettissement fiscal : elle est soumise à TVA comme une variation de prix classique
  • Preuve rigoureuse : vous devez justifier précisément tous les surcoûts réclamés

La transformation possible en force majeure

Si l’événement imprévisible devient permanent et détruit irrémédiablement l’équilibre contractuel, l’imprévision peut se transformer en cas de force majeure. Cette évolution juridique ouvre alors la voie à la résiliation du contrat aux torts partagés. 🔄

Cette transformation présente l’avantage de vous libérer définitivement de vos obligations contractuelles. Néanmoins, elle a pour inconvénient de mettre fin prématurément au marché et aux revenus associés

L’appréciation entre imprévision temporaire et force majeure permanente s’effectue au cas par cas. Par exemple, certains effets de la Covid-19 ont été qualifiés d’imprévision (surcoûts sanitaires), tandis que d’autres relevaient de la force majeure (fermetures administratives).

Les options contractuelles complémentaires

L’imprévision peut se cumuler avec d’autres mécanismes contractuels. Vous pouvez ainsi négocier parallèlement un avenant pour modifier le prix ou prolonger la durée du marché, en respectant les règles de la commande publique.

À retenir : L’indemnisation d’imprévision offre une compensation partielle mais réelle. Elle nécessite une gestion rigoureuse de la trésorerie et une documentation précise des surcoûts pour maximiser son efficacité.

Image montrant un chantier inondé avec des grues et des travailleurs en tenue de sécurité. - Force majeure dans les marchés publics

Exemples concrets d’application de l’imprévision

Pour mieux comprendre l’application pratique de cette théorie, analysons les situations récentes où l’imprévision a été invoquée avec succès ou échec.

La crise sanitaire Covid-19 (2020-2021)

La pandémie de Covid-19 constitue l’exemple le plus emblématique d’événement imprévisible des dernières années. Cependant, son traitement juridique a varié selon les secteurs et les situations contractuelles. 🦠

L’ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020 a prévu une indemnisation explicite pour les concessionnaires, mais pas pour les marchés publics ordinaires. Néanmoins, une circulaire du 9 juin 2020 a invité l’État et les collectivités à prendre en charge partiellement les surcoûts sanitaires.

Voici les principales situations d’indemnisation Covid reconnues :

  • Surcoûts sanitaires : achat de matériel de protection, réorganisation des équipes, mesures d’hygiène renforcées
  • Chômage partiel : prise en charge partielle des indemnités versées aux salariés
  • Retards d’approvisionnement : coûts supplémentaires liés aux difficultés de livraison
  • Réorganisation des chantiers : adaptation des méthodes de travail aux contraintes sanitaires

Le Tribunal administratif de Dijon a illustré cette approche en avril 2024. Il a condamné la Ville de Dijon à indemniser le concessionnaire du parc des expositions dont les pertes 2020 (1,64 M€) dépassaient plus de trois fois le déficit prévisionnel initial (0,48 M€).

La flambée des prix des matières premières (2021-2022)

L’inflation post-pandémie et la guerre en Ukraine ont provoqué des hausses spectaculaires du gaz, du pétrole et de nombreuses matières premières. Le gouvernement a reconnu le caractère « sans conteste imprévisible » de ces événements. 📈

Les secteurs les plus touchés ont pu invoquer l’imprévision :

  • BTP : explosion des prix de l’acier, du bois, du PVC, des isolants
  • Transports : flambée du carburant (diesel, essence)
  • Énergie : multiplication par 5 à 10 des prix du gaz naturel
  • Alimentaire : hausse des matières premières agricoles et des emballages

La circulaire du 30 mars 2022 a précisé que ces hausses constituent des événements extérieurs aux parties. Elle rappelle néanmoins que seul le « bouleversement absolu de l’économie du contrat » justifie l’indemnisation.

Par exemple, une entreprise de BTP confrontée à une hausse de 15 % de ses coûts matériaux peut légitimement invoquer l’imprévision, en s’appuyant sur l’arrêt « Société Altagna » qui avait retenu une hausse de carburant supérieure à 7 %.

Des pompiers en tenue jaune avec des équipements de protection et des bouteilles d'air sur le dos, intervenant sur un site urbain avec des bâtiments en arrière-plan. - Force majeure dans les marchés publics

Les catastrophes naturelles et événements climatiques

Les événements climatiques extrêmes donnent régulièrement lieu à des demandes d’imprévision. Cependant, leur caractère prévisible ou non s’apprécie selon les circonstances locales et la période considérée. Situations d’imprévision reconnues :

  • Tempêtes exceptionnelles : dégâts dépassant les normes climatiques habituelles de la région
  • Inondations centennales : crues extraordinaires non prévisibles par les études préalables
  • Canicules record : températures extrêmes perturbant les conditions de travail normales
  • Sécheresses prolongées : restrictions d’eau impactant les chantiers de terrassement

À l’inverse, certains événements peuvent être considérés comme prévisibles dans certaines zones géographiques. Une entreprise travaillant en zone sismique ne peut invoquer l’imprévision pour un séisme de magnitude habituelle dans cette région.

Les échecs d’invocation de l’imprévision

Tous les événements exceptionnels ne donnent pas droit à indemnisation. L’affaire « Nice Eco Stadium » (CAA Marseille, février 2025) a vu l’imprévision écartée. Le juge a qualifié la Covid de « bouleversement temporaire » relevant du cas de force majeure pour la vente de billets, mais sans ouvrir droit à indemnisation car le service public était suspendu. 🏟️

Les cas de refus concernent fréquemment la sous-évaluation manifeste (erreur grossière de chiffrage initial), les événements sectoriels prévisibles, la mauvaise anticipation des risques usuels, ou l’abandon d’exécution avant demande d’indemnisation.

Cette jurisprudence souligne l’importance de distinguer les véritables événements imprévisibles des aléas normaux de l’activité économique. Par ailleurs, elle rappelle que l’entreprise doit démontrer sa bonne foi et ses efforts d’anticipation raisonnables.

À retenir : L’analyse de ces exemples montre que l’imprévision reste un mécanisme exceptionnel. Son succès dépend autant de la documentation des surcoûts que de la démonstration du caractère véritablement imprévisible de l’événement.

Une pelleteuse jaune est partiellement immergée dans une zone inondée, avec des bâtiments flous en arrière-plan. - Force majeure dans les marchés publics

La procédure de demande d’indemnisation

Pour faire valoir vos droits à l’imprévision, vous devez respecter une démarche rigoureuse et structurée. Cette procédure peut s’étaler sur plusieurs mois et nécessite une documentation exemplaire.

La phase préalable : analyse et constitution du dossier

Avant toute démarche officielle, une analyse approfondie de votre situation s’impose. Vous devez d’abord vérifier que les trois conditions cumulatives de l’imprévision sont bien réunies dans votre cas spécifique. 🔍

Cette analyse préliminaire comprend plusieurs étapes essentielles. Tout d’abord, documentez précisément l’événement imprévisible (dates, sources officielles, preuves de son caractère extraordinaire). Ensuite, calculez l’impact financier exact en comparant vos coûts réels aux prévisions contractuelles initiales.

Parallèlement, rassemblez tous les justificatifs comptables : factures d’achat majorées, devis comparatifs avant/après l’événement, analyse de l’évolution de vos coûts de revient, et documentation de vos efforts pour limiter l’impact financier.

Cette phase préparatoire détermine largement le succès de votre démarche. En effet, un dossier incomplet ou mal argumenté a peu de chances d’aboutir, même si les conditions juridiques sont réunies.

La saisine de l’acheteur public

Dès la survenance de l’événement imprévisible, adressez une réclamation formelle à l’autorité contractante par lettre recommandée avec accusé de réception. Cette saisine doit intervenir rapidement, idéalement dans les deux mois suivant la prise de conscience de l’impact financier. ⏰

Votre courrier doit contenir des éléments précis et chiffrés :

  • Description factuelle de l’événement et de ses conséquences sur votre marché
  • Analyse juridique démontrant que les conditions de l’imprévision sont réunies
  • Évaluation financière détaillée des surcoûts avec justificatifs à l’appui
  • Proposition de modalités d’indemnisation (montant, échéancier de versement)

N’hésitez pas à joindre une note juridique référençant la jurisprudence pertinente et les circulaires ministérielles applicables. Cette approche professionnelle renforce la crédibilité de votre demande.

La négociation amiable

L’acheteur public dispose de deux mois pour vous répondre. Pendant cette période, il peut solliciter des compléments d’information ou proposer un rendez-vous pour examiner votre dossier. Cette phase de dialogue s’avère souvent déterminante. 🤝

Plusieurs issues sont possibles à l’issue de cette négociation. L’accord amiable constitue la solution la plus favorable : vous signez une convention d’indemnisation fixant le montant et les modalités de versement. L’avenant modificatif peut également être proposé pour réviser le prix ou prolonger le délai d’exécution.

Si l’acheteur refuse partiellement votre demande, ne négligez pas cette proposition. Une indemnisation même réduite peut s’avérer préférable à une procédure contentieuse longue et coûteuse. En cas de silence de l’administration au-delà de deux mois, celui-ci vaut rejet implicite. Vous disposez alors de deux mois supplémentaires pour saisir le tribunal administratif.

L'image montre une grue jaune renversée sur une route, entourée de barrières de sécurité et de personnes observant la scène. - Force majeure dans les marchés publics

Le recours contentieux

Si la négociation amiable échoue, l’action judiciaire devient votre dernier recours. Néanmoins, cette procédure présente des spécificités qu’il convient de maîtriser parfaitement. 📋

Le tribunal administratif compétent est celui du lieu de signature du marché. Votre requête doit être déposée dans les deux mois suivant la notification du refus ou l’expiration du délai de réponse de l’administration.

L’instruction du dossier peut durer de 12 à 36 mois selon la complexité de l’affaire et l’encombrement du tribunal. Pendant cette période, vous devez continuer à exécuter vos obligations contractuelles sous peine de perdre définitivement vos droits. Le juge examine votre dossier selon les critères jurisprudentiels classiques. Il vérifie l’imprévisibilité de l’événement, son caractère extérieur, et l’ampleur du bouleversement économique. Par ailleurs, il contrôle la sincérité de vos justificatifs comptables et l’absence de faute de votre part.

Les paiements provisionnels en cours de procédure

Pendant l’instruction de votre demande, vous pouvez solliciter des versements provisionnels pour alléger votre trésorerie. Ces avances « à valoir sur l’indemnité globale » sont possibles lorsque l’imprévision paraît manifeste 💰.  L’acheteur peut consentir ces versements par mandatement sur facture ou avenant spécifique. Ils seront déduits du montant final attribué, qu’il soit fixé par accord amiable ou décision de justice.

Dès lors, cette possibilité s’avère précieuse pour les PME dont la trésorerie est mise à mal par les surcoûts exceptionnels. N’hésitez pas à la négocier dès vos premiers échanges avec l’acheteur.

À retenir : La procédure d’imprévision exige rigueur et persévérance. Une approche méthodique et documentée maximise vos chances de succès, qu’elle aboutisse par voie amiable ou contentieuse.

Conclusion : votre plan d’action face à l’imprévision

La théorie de l’imprévision est une protection réelle mais exigeante : elle suppose de réagir vite, de documenter précisément vos surcoûts et de saisir formellement l’acheteur public dans les délais. Trois leviers sont essentiels : continuer à exécuter le marché malgré tout, privilégier la négociation amiable pour obtenir une indemnisation rapide, et préparer un éventuel contentieux si nécessaire.

Pour l’avenir, pensez à intégrer des clauses de révision de prix, à constituer des provisions et à renforcer votre veille sectorielle pour mieux anticiper les aléas. Enfin, ne restez pas seul face à ces démarches : l’accompagnement d’experts vous permettra de transformer ce mécanisme complexe en véritable outil de sauvegarde de votre activité.

Si vous avez des questions concernant la théorie de l’imprévision dans les marchés publics, n’hésitez pas à nous contacter !

FAQ - Théorie de l'imprévision et marchés publics

Toutes les réponses à vos questions

Qu'est-ce que la théorie de l'imprévision en marché public ?

La théorie de l’imprévision est un mécanisme juridique qui permet à une entreprise titulaire d’un marché public d’obtenir une indemnisation partielle lorsqu’un événement imprévisible et extérieur bouleverse l’équilibre économique de son contrat. Elle est codifiée à l’article L.6 du Code de la commande publique.

Quelles sont les trois conditions pour invoquer l'imprévision ?

Pour bénéficier de l’imprévision, trois conditions cumulatives doivent être réunies : l’événement doit être imprévisible au moment de la signature du contrat, extérieur aux parties contractantes, et bouleverser temporairement l’économie du contrat en créant un déficit d’exploitation substantiel.

Quel est le seuil financier pour justifier un bouleversement économique ?

La jurisprudence retient généralement un seuil autour de 6 à 7 % du montant initial du marché. Par exemple, l’arrêt « Société Altagna » a considéré qu’une hausse de carburant supérieure à 7 % constituait un bouleversement, tandis qu’une variation de 3 % avait été jugée insuffisante.

L'indemnité d'imprévision couvre-t-elle la totalité des pertes ?

Non, l’indemnisation reste partielle. En moyenne, l’entreprise conserve un reste à charge de 5 à 25 % du déficit (moyenne autour de 10 %). Cette quote-part reflète le principe de partage des risques inhérent aux marchés publics. 💰

Dois-je continuer à exécuter mon marché pendant la procédure d'imprévision ?

Absolument. La poursuite de l’exécution constitue une condition impérative pour bénéficier de l’indemnisation. L’arrêt « Propétrol » confirme qu’en cas d’abandon ou d’inexécution fautive, aucune indemnité n’est due, même si les autres conditions sont réunies.

Dans quels délais dois-je saisir l'acheteur public ?

Vous devez adresser votre réclamation dès la survenance de l’événement, idéalement dans les deux mois suivant la prise de conscience de l’impact financier. L’acheteur dispose ensuite de deux mois pour vous répondre, et en cas de refus ou de silence, vous avez deux mois supplémentaires pour saisir le tribunal administratif. ⏰

Puis-je obtenir des versements provisionnels pendant la procédure ?

Oui, l’acheteur peut consentir des versements provisionnels « à valoir sur l’indemnité globale » lorsque l’imprévision paraît manifeste. Ces avances permettent d’alléger votre trésorerie pendant l’instruction du dossier et seront déduites du montant final attribué.

L'indemnité d'imprévision est-elle soumise à la TVA ?

Oui, l’indemnité est soumise à TVA au même titre qu’une variation de prix contractuelle, car elle est considérée comme la contrepartie d’une prestation réalisée. Vous devez donc prévoir cet impact fiscal dans vos calculs. 🧾

Combien de temps dure une procédure d'imprévision ?

La durée varie entre 18 mois et 3 ans selon que l’accord intervient par voie amiable ou contentieuse. La négociation directe avec l’acheteur est généralement plus rapide (6 à 12 mois) qu’une procédure judiciaire devant le tribunal administratif.

Puis-je invoquer l'imprévision si mon contrat contient une clause de révision des prix ?

Si votre marché comporte une clause de révision automatique, celle-ci s’applique en priorité. L’imprévision n’intervient que si, après application de cette clause, l’économie du contrat reste perturbée par l’événement imprévisible.

Quels documents dois-je rassembler pour constituer mon dossier ?

Votre dossier doit contenir : la documentation de l’événement imprévisible (dates, sources officielles), un comparatif détaillé coûts prévisionnels/coûts réels, toutes les factures et justificatifs comptables, l’analyse de l’impact sur votre marge, et la preuve de vos efforts pour limiter les surcoûts. 📋

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